Cela devait être un projet à long terme. Initialement nous aurions pu être quatre jeunes photographes engagés dans cette aventure. Olivier l’a quittée très tôt, à peine commencée. On nous l’a alors désigné comme étant procédurier, désireux de contractualiser certaines choses, tout en se réservant l’éventualité d’utiliser ses photos pour son compte, hors du projet. Restaient ainsi Corey Littlefair (Australien), Stéphane Tellier (Canadien Québécois), tous deux expatriés, et moi. Nous étions trois, très différents dans nos personnalités, autant que la manière de photographier. Nous avions en commun d’être sympathiques mais aussi d’être déracinés, perdus et sans carrière en amont ni en devenir. Olivier que nous n’avons jamais connu était, si ce n’est le plus capable, celui avec une réelle démarche quant à se professionnaliser. (Il sortait de la même école que moi, un ou deux ans avant.) Contrairement à lui, la photo était pour nous pas seulement un moyen d’expression mais surtout un idéal qui nous guiderait sur un chemin, dont nous ignorions vers où il nous mènerait, mais simplement qu’il nous mène ailleurs d’où on venait.
Olivier a eu raison, très certainement, en étant plus rationnel et clairvoyant. Dans toutes les professions créatives ou non salariées, il y a les récits de ceux qui ont travaillé sans être payé ensuite. On le sait pertinemment si bien qu’on se demande comment cela peut arriver et qu’on ne sera pas concerné.
La maison d’édition existe toujours, forte de son existence depuis plusieurs années et de compter de nombreux ouvrages dans sa collection à présent, certainement fruits de l’association à de nouveaux collaborateurs talentueux. Aucun de nous trois – Corey, Stéphane et moi – n’y avons plus travaillé. Probablement ensuite nous sommes revenus plus ou moins à la vie dont nous voulions nous éloigner par notre implication, aveuglés de candeur.
J’ai travaillé pendant 3 ans sans rémunération, si ce n’est à terme d’avoir exiger le remboursement des indemnités de déplacement et frais d’essence (ce qui n’est pas d’être rétribué de ses photos) et d’avoir semblé audacieux à le faire (contrairement à Corey et Stéphane probablement). Cela m’est arrivé parce que j’ai décidé de suivre quelqu’un qui a su prendre le temps de regarder mes photos et de m’en féliciter à un moment ou j’étais vulnérable, en perte de repères affectifs, et qui ensuite m’a souvent parlé comme le père que j’ai pu regretter de ne pas avoir eu. Jusqu’au jour où le vrai est décédé et que j’ai alors compris que personne ne le remplacera.
(2022)